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Lorsqu’elle s’aperçut que j’entrais seul, elle mit les deux mains sur son cœur et dit :

— Mon cœur s’est brisé, Thérèse, j’ai cru que c’était elle.

— Allons, entrez, Stéphane, dit ma tante Michel. C’est mon neveu, Clotilde.

Alors cette singulière créature me prit tout à coup dans ses bras et m’embrassa avec transport, en s’écriant :

— Je l’ai vu tout petit, tout petit. Dieu ! comme tout change ! Le voilà grand garçon maintenant. Mon cher enfant, ne reconnaissez-vous plus la Clotilde qui vous faisait sauter ?

Elle m’embrassait coup sur coup, de toutes ses forces, au point de me faire mal.

— Dis, mon enfant, vraiment, ne me reconnais-tu pas ? répétait madame Clotilde. Regarde-moi bien dans les yeux. Est-ce que je te fais peur ?

Puis, se tournant vers ma tante et me montrant de la main :

— Thérèse ! Thérèse ! cria-t-elle. Voilà ce qui m’a manqué toute ma vie !

Petite et brusque, très maigre, avec une grande bouche, des yeux gris sous des cheveux noirs crêpelés, presque laide, telle était madame Clotilde. Elle avait les joues pâles, les paupières rouges et sous les pommettes des creux profonds comme des trous de vieilles douleurs. Ses fines mains de petite fille se chargeaient de bagues presque à chaque doigt, mais elle était mal chaussée et il y avait un certain désordre dans sa toilette. Elle se levait, s’asseyait, se mouvait constamment, avec une vivacité inquiète dans le geste et la parole. Elle avait repris l’album et considérait la photographie de madame Dubois en une attention extasiée.