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était à ce point éveillée que j’aurais fait, je crois, sans remords, le sacrifice de mes prochaines étrennes, en exceptant cependant le cheval de carton.

Dans l’après-midi, ma tante passa une robe de soie verte dont elle se parait seulement les dimanches, se coiffa d’un chapeau à plumes noires, tout petit, qui lui donnait un air de vieille jeune fille et faisant ensuite les boutons de ses gants :

— Je vais chez Lisbeth, me dit-elle. Mettez-vous près du feu, Stéphane, et amusez-vous à regarder les images de mon Monte-Christo ; je ne serai pas longtemps. Mais surtout faites bien attention au feu, Stéphane.

Je lui promis tout ce qu’elle voulut et elle partit, après avoir fourré la lettre dans son manchon.

— Certainement, pensais-je en moi-même, madame Clotilde demande une chose bien extraordinaire, puisque voilà ma tante Michel toute pareille à une folle ce matin. Qu’est-ce qu’il y a pourtant d’extraordinaire à ce qu’une sœur cherche à voir sa sœur ? À moins qu’elles n’aient des torts l’une envers l’autre. Mais quels torts madame Dubois, qui est si bonne, pourrait-elle avoir envers madame Clotilde ? Si j’avais une sœur, moi, je ne voudrais pas me brouiller avec elle pour tout l’or du monde. Non, je ne le voudrais pas.

— Ah ! mon garçon, s’exclama ma tante en rentrant à la tombée du jour et en jetant dans un coin ses galoches, je ne m’y laisserai plus prendre. Quelle femme ! Dieu ! quelle femme !

Elle se déshabilla, mit sa petite jaquette blanche par dessus son jupon de boucran, chaussa ses pantoufles, puis se détendit dans cette parole de bien-être :

— Quelle bonne chose d’être près de son feu, Sté-