Page:Lemonnier - Noëls flamands, 1887.djvu/221

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

d’homme et une paire de souliers d’enfant, toutes deux si lamentables que leur existence ne tenait qu’à un fil.

Maître Claes les connaissait assurément ; peut-être même les connaissait-il trop bien, car c’était la neuvième fois qu’on les lui apportait à raccommoder. Il les regardait en plissant les yeux comme on regarde un travail dont on est content, et aussi comme un ami qui vient un peu plus souvent qu’il n’est invité ; et il pensait en lui-même :

— Mathias Job est une honnête pratique, bien qu’il porte ses souliers plus longtemps qu’il n’est décent ; mais j’ai mis à ceux-ci tant de pièces, de demi-semelles et de talons que je ne sais plus où il me sera encore possible de coudre un morceau de cuir pour boucher les nouveaux trous.

Et, en effet, il n’était pas dans ces vestiges de chaussures un endroit grand comme l’ongle qui n’eût été ressemelé, recloué, recousu et rapiécé par Claes Nikker, depuis deux ans qu’il les avait livrées. Une infinité de languettes et de béquets en forme de triangles, de rondelles et d’étoiles, couvraient le cuir primitif comme une végétation de parasites, et par dessus, l’on voyait les petits points gris du fil.

Mathias Job avait un penchant à appuyer plus particulièrement à droite qu’à gauche, et ce défaut d’équilibre contristait visiblement ses souliers, car le peu de semelle qui leur restait encore se groupait à gauche, tandis qu’à droite un trou rond indiquait que le pied de M. Mathias Job avait fait depuis longtemps connaissance avec le pavé de la chaussée. Le talon, de son côté, s’en allait en petits morceaux, par feuillets qu’on eût arrachés un à un, comme les ardoises d’un vieux toit.