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car elle avait les yeux fermés ; et même elle dormait depuis cent ans. C’était la Belle-au-Bois dormant.

En vérité, il n’était pas possible de dormir d’un plus franc sommeil : elle dormait sur son banc de gazon aussi bien que si elle avait eu sous elle un canapé rembourré et l’on croyait voir se soulever à temps égaux sa petite poitrine. Ses pieds chaussés de mules mordorées sortaient à demi de sa jupe jaune un peu relevée vers le bas : or rien n’était plus jaune que cette robe, ni l’or, ni le soleil, ni la figure d’un méchant homme, et pour mieux la faire ressembler à du satin, l’artiste l’avait plaquée, le long des plis, d’une gomme arabique abondante.

La gomme, d’ailleurs, ne manquait pas davantage aux cheveux, lesquels étaient d’un noir où l’on pouvait se mirer, aux yeux qui étaient noirs, bruns, peut-être bleus, on ne le savait pas, aux joues qui étaient rosées, à la bouche qui était rouge, et en général à toute la figure, car le peintre l’avait particulièrement soignée. Et l’eau venait à la bouche de la regarder, parce qu’on pensait à la fraise et à la framboise.

Mais Jean ne pensait ni à la fraise ni à la framboise, et il la considérait simplement comme une bonne et jolie fille.

Ah ! que n’aurait-il pas donné pour entrer dans le bois enchanté ! Il aurait été droit au banc où elle dormait, la Belle-au-Bois. Il l’aurait embrassée sur la joue, celle où il y avait le plus de gomme arabique, et il lui aurait dit :

— Je suis ton petit mari, mademoiselle. Lève-toi.

Puis il l’aurait menée chez M. Muller prendre ensemble du chocolat ou du vin chaud.

Malheureusement il ne savait pas où était le bois ni comment il pourrait y pénétrer, et cela lui causait un