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bien temps d’y penser. J’ai toujours été comme ça. Dans le moment même je ne dis rien, je ne fais rien, je n’ose rien, une poule mouillée ! et puis après, je suis feu et flamme, je crie, je tempête, je casse les vitres, j’extermine tout ce qui est sur mon chemin. — Ah ! que le monde est dur !

Et M. Muller, qui avait commencé par une si grande colère, tapant le trottoir à coups de parapluie un peu plus fort à chaque mot qu’il disait, sentit tout à coup ses yeux se mouiller et toussa à pleins poumons pour ne pas se laisser aller à son attendrissement.

Quand il fut près de sa porte, il respira bruyamment et se dit :

— Je travaillerai.


IX


Depuis quinze jours que Jean était chez M. Muller, le bonhomme dormait dans le vieux fauteuil qu’il tenait de son grand-père et qui gardait sur sa basane éraillée, la forme d’une personne couchée. Il y passait la nuit, la tête dans un mouchoir, à côté du lit de Jean, après avoir pris soin de tirer à lui la table où étaient les fioles, la veilleuse et un livre qu’il commençait toujours à lire avec la résolution de ne pas s’endormir.

D’abord il lisait très attentivement, s’interrompant parfois pour regarder du côté de Jean, puis il laissait tomber la tête, fermait les yeux, les rouvrait à demi et tout à coup rattrapait son livre, au moment où celui-ci lui glissait des mains : alors une colère le prenait, il se frottait les yeux, secouait sa tête, collait son front à la vitre froide et se promenait sur ses bas, pour de-