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enfilades de collines bleuâtres. Perché sur son roc, le vieux château de Bouillon dessinait au-dessus de la ville son profil hautain.

Un va-et-vient furieux emplissait les rues.

Nous gagnâmes la place, toute comble de bourgeois, de paysans, de lanciers, de prisonniers, de blessés se démenant à travers les pieds des chevaux, les roues des voitures et les porteurs de civières. Et cette cohue faisait un brouhaha terrible, dans le noir de l’après-midi.

Une sueur montait des dos, flottait dans le brouillard du ciel rampant et lourd ; et les uns couraient sans but, les yeux élargis, soudainement revenaient sur leurs pas, les autres piétinaient sur place, attendant on ne sait quoi, perdus dans des songeries. Une stupeur s’appesantissait sur les cervelles. Et la petite place avait l’air d’un cuveau bouillonnant, regardé par les maisons vertes d’humidité, avec le scintillement inquiet de leurs vitres.

À la fenêtre d’une auberge, de petits messieurs à têtes pommadées, les manchettes tirées sur les poignets, buvaient du champagne, gaîment, avec des filles plâtrées, et