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chée commune, officiers et soldats dormaient ensemble du même sommeil. Il semblait que le silence redoublait encore autour de ces morts enterrés loin de la patrie. On n’entendait que le vent qui gémissait dans les croix. Et je pensais à la solitude des foyers.

Près du chemin creux qui descend aux fonds de Givonne se dressait un triste et touchant trophée. Un petit tertre, exhaussé d’un demi-pied, bosselait la bruyère : on avait piqué dedans la pointe d’un poignard.

La garde du poignard était coiffée d’un fez de zouave et une trompette bosselée pendait en travers, avec une couronne de bruyère en fleurs.

Pas d’inscription ; pas de nom. Un frère sans doute ou un ami avait orné cette obscure tombe glorieuse.

À quelque temps de là, je vis une vieille femme accroupie sur les genoux et qui grattait de sa main crochue un champ où il y avait eu des navets. Quand elle entendit le pas sourd de mon bidet près d’elle, elle leva la tête, et lentement, en me regardant, se mit debout. Des touffes de poils gris tombaient dans ses yeux mornes ; elle était mince et sèche comme une