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avec les nourrissons, s’assombrissait tout à coup de la noire cohue des soldats.

Les volées de poules, de coqs, d’oies et de canards qui la veille barbotaient dans les mares et grattaient les fumiers, n’accouraient plus au bruit des portes qui s’ouvraient. Le long mugissement des bœufs qu’on entendait du haut des remparts de Sedan ne sortait plus des étables. On ne voyait plus les porcs s’éclabousser leur groin rose en fouillant l’ordure des rigoles. Tout cela avait été pillé, volé, tué, mangé.

Les villageois rôdaient tristement parmi les soldats, les mains dans les poches, regardant tout sans rien voir et se demandant de quel argent ils achèteraient plus tard leurs bêtes de labour et de boucherie. Les greniers étaient vides ; on avait saccagé les granges ; les champs ressemblaient à des cimetières ; c’est à peine si l’on avait pu sauver un peu de lard, de pommes de terre, de seigle pour quelques pains et quelquefois cacher une tonne de bière au fond des caves barricadées. Et voilà comment la misère était tombée sur ces pauvres paysans qu’on voyait maintenant, hâves et sourcilleux, regarder des jours entiers les nuages