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sentis leur rire me couler dans les moëlles comme du plomb fondu.

Des voix chantaient des refrains bachiques, et tantôt c’était la lourde mélopée hoquetante d’un ivrogne, tantôt le léger fredon sautillant d’un rêveur amoureux.

Et puis le silence, ce silence des catastrophes plus redoutable que celui du sépulcre, retombait comme une chape d’airain sur la funèbre nuit.

Brusquement un retentissement sourd scandait l’ombre, comme celui des pieds frappant le sol en cadence ; le bruit se rapprochait, grandissait, remplissait la rue et les maisons.

C’étaient les patrouilles.

Ces patrouilles battaient en tous sens la ville : il y en avait toujours trois ou quatre en route. Elles se rencontraient à de certains endroits désignés, échangeaient des mots à voix basse et rebroussaient chemin.

Une fois deux patrouilles se croisèrent sous mes fenêtres : des crosses claquèrent par terre, un murmure de voix cessa dans un commandement bref et le tassement des pas reprit pour s’éteindre bientôt après.

La ville était bien gardée.