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ramassées en route et traînaient leurs pieds endoloris dans des peaux de bêtes nouées autour.

Lorsqu’on les interrogeait, ils répondaient qu’ils en étaient venus à faire la guerre sans savoir comment. On les avait conduits à droite à gauche, en avant, en arrière, à travers toute sorte de manœuvres contradictoires, et c’est dans le moment qu’ils ne s’attendaient à rien, quand ils faisaient leur cuisine et qu’ils s’apprêtaient au repos, que l’ennemi leur était presque toujours tombé sur le dos. Ils avaient tout perdu, les vivres, les munitions, les officiers, les généraux, et ils avaient marché droit devant eux, en luttant, se taillant à la baïonnette des passages et tiraillant, sans chefs, sans tambours et sans commandements.

Presque tous arrivèrent écharpés, écloppés, échardés, le bras dans l’habit, les reins brisés, traînant la jambe, sans yeux, sans nez, criblés de balles, couturés d’éraflures, couverts de sanies et saignants comme des bêtes de boucherie.

On en voyait qui avaient coupé en morceaux leurs chemises pour panser leurs blessures ; d’autres s’étaient bandés avec des loques raidies par les caillots de sang.