Page:Lemonnier - Les Charniers, 1881.djvu/131

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

et monotone. Il discontinuait un instant de pleuvoir.

La plaine, trempée par les eaux des deux derniers jours, formait une boue molle où le pied entrait jusqu’à la cheville. On ne voyait presque plus la réalité, et les choses confinaient à la vision. Des tiges de betteraves, en carrés réguliers, hérissaient énigmatiquement le sol et ressemblaient à des ossements émergés d’une nécropole.

Par moments un hennissement lointain s’entendait, puis le bruit d’un galop, et un cheval passait à travers la plaine, sans cavalier, boitant, les entrailles traînantes. Des chiens hurlaient à côté des charognes, en grandes bandes ; une nuée de corbeaux s’abattait par endroits. Et petit à petit d’étranges silhouettes, grandies dans les dernières lueurs du jour, envahirent la plaine, et des clartés brillèrent à ras de terre ; ces clartés allant et venant, l’on voyait s’éclairer, quand elles s’arrêtaient, un petit point de l’étendue.

Les rondes de nuit rencontraient souvent des hommes en train de déterrer des cadavres, de peler des chevaux, de détrousser les rares pas-