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à la table et ne pouvait se lever. Et ils étaient là, dodelinant, très saouls, une hébétude dans leurs yeux d’animaux gorgés, regardant l’homme qui, en boule, la face apoplectique, soudain levait son fusil et criait :

— Hors d’ici, fils de putains !

Le trou noir du canon fut sur eux comme la mort. Géromet s’abattit, heurtant la table de la tête. Falagne et Putois se laissèrent choir sous leur chaise. Landrien oscillait sans pouvoir re prendre ses aplombs : seul, le grand Gédéon, le vrai fils par la taille et l’allure, fixait droit les yeux qui, au bout du fusil, le visaient.

— À ta santé, not’ frère, dit-il en haussant le col du flacon jusqu’à sa bouche, très calme.

— T’es pas mon frère, sale bâtard ! Fais ta prière, j’vas t’abattre comme un chien.

D’une fois, sa taille déployée, bras croisés, le Vieux se porta devant l’arme.

— Tire donc, coquin !

Le jour entra ; la grande chouette du plafond referma ses ailes sur la nuit ; tout le matin fit refluer l’ombre vers les angles, et une minute régna, terrible. Les superbes bandits de la lignée semblèrent sortir de leurs cadres pour assister au drame : eux aussi, les tigres et les lions, durent avoir ce froid geste résolu devant la dague, l’épée et le mousquet.