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l’hallali

de cheminée en tous sens gisaient. Pont-à-Leu, ainsi, chaque année, de ruine, d’usure et d’incurie, un peu plus s’en allait. L’autan, l’âge et les rats ployaient les charpentes, effritaient les briques et dévastaient à petites fois, de la base au faîte, l’énorme bicoque féodale, la mûrissant pour le grand coup de cognée du bûcheron qui vient le dernier.

Jean-Norbert, rejeton tardif de la forte souche, issu entre un panier à coutures et un évier, semblait avoir été mis au monde pour être un témoin. Il assistait au désastre de l’héritage ; il mesurait les progrès de la ruine, lui, le rebut de la grande humanité violente, des Quevauquant séculaires. Une vision lui était restée de sa petite enfance : le vacarme des meutes, le piaffement des chevaux, les chasses en habits rouges par les bois et la plaine, la grosse ripaille des hobereaux d’alentour prolongée jusqu’à l’heure où le jour, tombant par les fenêtres sur une fin d’orgie, laissait voir les convives roulés en tas sous les tables. Jamais, du reste, sa mère n’apparaissait.

Les rires, les cris, les fureurs nées des nourritures rouges et du vin, en dégorgeant par le vomitoire des corridors, soufflaient en bourrasque jusqu’à elle et ne la troublaient pas. Silencieusement, pendant dix ans, elle avait été, dans