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l’hallali

Jumasse tout de suite essaya de lui porter secours ; mais l’hiver l’avait encloué et il traînait ses jambes percluses, comme un grand faucheux estropié. Tous deux appelant à l’aide, le Vieux apparut à l’une des fenêtres ; il se mit à rire, retira la tête et sitôt après recommença d’attiser son feu avec le plancher qu’il sciait à mesure.

Ce fut Sybille qui sauva son père : elle avait décroché la canardière et, ses jupons troussés jusque par-dessus les genoux, elle entrait dans la neige, retirant à mesure ses longues jambes pareilles aux pattes duvetées d’un oiseau. Quand elle fut à portée de Jean-Norbert, elle lui tendit le canon de l’arme. Lui, des deux mains s’y accrocha ; et d’une force d’homme elle l’amenait à elle, exténué et râlant son asthme. Ni l’un ni l’autre, du reste, ne s’étaient dit un mot, les dents comme des herses retombées sur le froid des âmes. Ce n’était là, après tout, qu’un épisode de leur vie de paysans dans leur Pont-à-Leu ensorcelé et plein de pièges. Sibylle tranquillement alla rependre le fusil et continua sa couture. Le paysan, un mauvais frisson par les membres, en fut quitte pour boire du sureau, au chaud de l’âtre, pendant deux jours.

Le vent ensuite souffla du nord-est ; un gel terrible durcit les routes. Jean-Norbert, toujours relancé par la pensée de ses arbres, rabota une