Page:Lemonnier - L'Hallali, sd.pdf/130

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

l’aidaient à vivre l’illusion d’une humanité différente.

Une pendule de campagne, rachetée à la mortuaire d’un fermier, éructait ses hoquets par dessus la veillée. Celle-ci ne dépassait jamais la demie après huit. C’était l’heure invariable du coucher. Jean-Norbert alors, laissant là ses osiers, quittait la cuisine et debout, tête nue, en joignant ses mains gourdes, psalmodiait avec les siens les prières du soir. Les pas du baron, à l’étage, scandaient la pieuse mélopée. Il commençait à marcher, sitôt le soir tombé, et Jean-Norbert avec effroi conjecturait les nuits réveillées où quelquefois pendant des heures, il comptait les coups de talons toujours au même point faisant grincer les solives à la longue défoncées par un va-et-vient de bête en cage.

Dans les neiges, le manoir apparut comme un contemporain des anciennes humanités. Ses fenêtres, sous l’énorme toison congelée des toits, ouvraient des yeux aveugles vers le vide des horizons où jadis, pour le plaisir des maîtres, les marmenteaux poudrés à blanc évoquaient les perruques qu’on portait à la cour. Toutes les communications coupées, Jean-Norbert grimpait les marches éboulées de la tour d’Ouest et par l’une des quatre lucarnes sous le toit en pointe, regardait si le petit bois des chênes était toujours debout.