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qui lui durait jusqu’à la pousse des feuilles. Son four étant plus mal exposé que les autres, il recevait les coups de vent en pleine nuque, tout aveuglé par les flocons qui grésillaient sur sa chair en feu, avec la sensation grièche de cuire dans un bain de glace. Sa balèvre s’était fendue d’une gerçure qui la coupait en deux comme une entaille de couteau ; la chair à vif saignait, irritée en outre par le charbon ; et il lui vint aussi une douleur sourde de rhumatisme qui lui cassait les bras à la hauteur des épaules. Il ne mollissait pas néanmoins, se raidissait contre la peine et, à l’heure où Clarinette là-bas se décidait enfin à quitter son lit, il avait abattu déjà ses deux charges.

Des jours entiers, blottie dans l’âtre près du poêle bourré à pleines pelletées, les mains presque toujours inactives, elle se consumait en un ennui lourd, avec des bâillements mornes, une stupeur de marmotte qu’elle amusait de grignotements de friandises.

Elle en vint à regretter presque cette vie à deux, toujours à deux, comme un verrou tiré sur les occasions de carrousse et de bombance. Mieux encore eût valu servir à la ville : on avait les dimanches pour rigoler, et quelquefois avec un peu d’entregent, on pinçait un bourgeois, qui vous collait des rentes. La grosse Didine, la fille du bouilleur Poret, dans une maison où elle était laveuse de vaisselle, avait débauché un vieux salaud de parent ; elle tenait, à présent, quelque part prés d’une église, dans une belle rue, un débit de cigares. C’était une gaillarde celle-là !

Autour d’eux vivaient une dizaine de ménages besogneux, le gros du hameau s’espaçant plus avant dans les champs. Huriaux s’était toujours bien accommodé de ce voisinage ; mais Clarinette, presque dès le début, s’était chamaillée pour des broutilles ; les femmes surtout lui en voulaient, la considérant comme une intruse dans leur coin de misère tranquille. Dans le vide des jours, toute seule au logis, elle se désola d’avoir quasi rompu avec tout ce petit monde ; rien qu’en franchissant le seuil, elle aurait trouvé à qui parler, au lieu de demeurer, comme elle le faisait, des heures entières à voir tomber la neige, derrière les vitres mates de buée. Elle finit par n’y plus tenir et, se souvenant qu’une des filles de la Raclou, la voisine la plus proche, faisait des journées de couture au