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Alors, plus que jamais, la zizanie prit possession de la maison. Du monde s’attroupait en plein midi devant la porte pour s’amuser du bruit de leurs querelles, l’oreille tendue aux injures qu’ils se renvoyaient ; et les cris montaient à travers les escaliers, les voix perçaient les plafonds, toute cette sale dispute finalement allait crever sur le pavé parmi les curiosités de la rue.

Un jour, comme à bout, il lui reprochait ses coquineries avec Ginginet et Gaudot, elle se campa devant lui, les poings sur les hanches ; et de sa porte, Patraque l’entendit qui hurlait :

— J’ t’ai fait cocu cor’ avec ben d’autres !

Tout de suite après, elle lui vida dans les jambes une hottée de noms, sans s’arrêter, allant jusqu’à inventer des copulations avec des hommes qu’elle connaissait à peine, dans un étalage furieux de hontes imaginaires pour mieux l’accabler. Et elle lui crachait tous les mâles du Culot, se déshabillait dans un stupre sans trêve, incitant en lui l’idée d’un monstrueux coït vautré par les champs, la maison, la rue, avec une foule qui s’était repue de sa chair, Capitte, Zinque, Miche, le Rouchat, Carbonel, Péquillot, Tricot, Guenne, Simonard, Piéfert, les morts et les vivants, les vieux et les jeunes, tout un immense rut qui depuis le commencement de leur mariage ne l’avait plus lâchée.

L’énormité de ce vice tranquillisa Huriaux : dans sa frénésie à entasser l’ordure, elle avait dépassé la mesure. Il haussa les épaules, grimpa à l’étage pour échapper à ses poursuites, impuissant à refréner ce flux effrayant de noms et d’outrages. Mais d’en bas elle continuait à remplir l’escalier de ses gueulées. Et tout à coup. Patraque cessa d’entendre sa voix et la vit passer derrière le comptoir où elle se mit à boire à même les bouteilles.

Depuis quelque temps son goût de la boisson n’était plus un mystère pour personne. Des voisins l’avaient aperçue zigzaguant à travers les trottoirs, les jambes cassées, rouge et dépeignée, avec le flasque battement de paupières des ivresses mûres. « V’là qu’elle est cor’ eun’ fois bue ! » disaient les commères en riant. Et on plaignait généralement Huriaux, obligé de « trimer à côté d’une pareille soûlée ». Cependant, jusqu’alors elle s’était observée, ne buvant qu’après qu’il avait quitté le logis ; au retour, il la trouvait