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— T’as compris, grand losse ? fais-en autant, qu’on t’dit !

Mais Gaudot, haussant avec dédain ses larges omoplates, leur bâilla à tous deux par-dessus son épaule cette matamorante réplique :

— À chacun s’métier : moé, j’travaille pon dans les cartes. Mais si vot’ particulier mame Huriaux, i veut ben lever par l’ pied la table qu’é v’là, j’ dirai, moé, qué c’est un homme. À défaut d’ quoé, on dira le contraire et qu’on pourrait ben lui torcher l’bec, à ce fifi-là.

Ginginet, flairant une mauvaise affaire, jugea prudent de s’esquicher et se rabattit sur les cartes, au fond très vexé de la sotte algarade qui démolissait son prestige. D’ailleurs l’heure du train approchait : il régla la dépense que Clarinette chiffra modérément, feignit, en partant, d’ignorer absolument la présence des coque-plumets ; et sur le pas de la porte, dans la nuit claire, il sentit tout à coup se poser deux lèvres chaudes sur sa nuque, à travers un chuchotement :

— Quand qu’ti reviendras, p’tit chéri ?

Mais il était encore sous l’impression des bravades de Gaudot : il secoua la tête, rognonna à propos du sale monde qu’elle recevait, de la vraie peautraille. Et pour l’apaiser, elle lui jura qu’elle fermerait la porte dorénavant, comme tout à l’heure. Puis il gagna la gare, repensant à ce brave homme de Huriaux, un fier type après tout, qu’elle trompait misérablement. Ce n’est pas lui qu’on pincerait au conjungo !

Quelques minutes après le départ de Ginginet, Gaudot et les amis, à leur tour, opérèrent leur sortie, avec un bonsoir sec, et ostensiblement allèrent s’attabler à La Marcotte, chez Patraque qui, très étonné de cette rentrée de ses anciens clients et soupçonnant quelque effet des manigances de la pécore d’en face, les congratula, bénin, avec mille risettes et patelinades.

Ce fut un coup pour Jacques.

— V’là les fieux qui nous lâchent, gémit-il. T’ à l’heure, i n’vindra pu personne !

Mais Clarinette, encore très montée contre le grand Achille, se rebiffa, déclara qu’elle en avait assez de ces traîne-misère. À la