Page:Lemonnier - Happe-chair, 1908.djvu/100

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

geaient des parties de cartes où chacune oubliait son ménage. La vanité de Clarinette s’en donnait à cœur joie de l’admiration envieuse qu’excitait la somptuosité du lavabo et du lit. Toutes s’étaient émerveillées avec des sourires pincés, rageant de leur pauvreté devant cet étalage de richesses qu’elle leur jetait à la tête.

Cependant les prodigalités du ménage Huriaux finissaient par exaspérer les maris, sourdement travaillés par leurs femmes. Un jour Simonard, qui avait une amitié solide pour Jacques et détestait Clarinette, lui lâcha à brûle-pourpoint sa rancune.

— Sûrement i s’passe à t’môson des histoéres ; ouv’ l’œil, fieu ! I n’est qu’temps.

Ce fut une secousse pour Huriaux. Il demanda le lendemain au contremaître un congé de deux heures, fila d’un trait chez lui et tomba en pleine rigolade dans une chambrée de femmes se bourrant de gâteaux au riz. Elles étaient quatre autour de la table, la Raclou et sa fille, la cousine Zébédé et la maigre Leurquin, bâfrant et grimelinant aux cartes avec un entrain de commères en goguette. Son apparition les cloua sur place, le morceau aux dents, dans une stupeur de flagrant délit, n’osant ni parler ni bouger sous cet œil qui faisait le tour de la pièce. Mais il était aussi saisi qu’elles, demeurait la main sur la clef, dans l’entre-bâillement de la porte, indécis, avec une envie de bousculer la table et de les secouer toutes à la rue, comme des vermines.

— Bonjour, la compagnie ! goguenarda-t-il enfin. Parait que les souris s’paient di bon temps quand el’ chat est en voie. N’vo gênez nin ; ous’ qu’i a de la gêne, y a pon d’plaisir.

Clarinette cherchait des raisons. Elles passaient par là, étaient entrées, tout à coup s’étaient trouvées quatre, sans s’être concertées,

— Bien sûr, ricana-t-il en aveignant le quartier de tarte demeuré sur le plat et en l’avalant d’une goulée.

Maintenant, d’ailleurs, elles étaient toutes pressées de partir, prétextant une besogne urgente, la Leurquin une lessive qui bouillait dans le cuveau, la Raclou sa soue à porcs à nettoyer, Zébédé une charge de cagerottes et de clisses à ficeler. Il ne resta plus que Flipine, engagée depuis le matin pour élargir un corsage