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la part de la littérature et du roman dans ce cerveau imaginatif qui, si naturellement, vécut l’illusion de la vie. Son steppe à lui, sera le trottoir de Paris : mais celui-là, pour un chasseur de proies humaines comme il est, propose une bien autre aventure que la grande plaine nue où cavalcadèrent ses songes chimériques. Alfred Delvau justement requiert sa présence pour illustrer d’un frontispice les Cafés et cabarets de Paris.

C’est à ce moment qu’il prend vraiment contact avec le monstre. Il pourra dire alors qu’il n’a été jusque-là que l’être fragmentaire et conforme, « sérié parmi les individus normaux ». Ce qu’il ne dit pas, lui qui avait peu le goût des phrases trop personnelles, c’est qu’il se sent devenir à son tour un des monstres de cette humanité supérieure qui pencha, par-dessus la prodigieuse cuve de toutes les passions du monde, la vision hagarde et lucide d’un Balzac et d’un Baudelaire. Il se bande les reins et d’un cœur héroïque se lance dans la fournaise ; mais pour être après eux le visionnaire qui plonge aux vertiges d’un Paris, il lui faut tout résigner, l’honnête paix et jusqu’aux sécurités de la vie.

Qui peut dire que ce grand « humain » alors ne fut pas tenté de considérer au loin, par-dessus les feux et les fumées, la douceur des choses laissées en arrière ? En tous cas, il ne sut point se détacher tout de suite ; des fibres profondes longtemps demeurèrent nouées à ce passé familial, heureux et sûr, qui était une mère, une femme, un fils.

Ce ne furent là toutefois que les mouvements de la vie par lesquels il continuait à ressembler à tous les hommes quand déjà il s’en était séparé par les volitions impérieuses de son humanité intellectuelle. Le pacte diabolique, il l’avait signé avec son sang ; comme un autre Faust, il avait, en entrant dans Paris, vendu son âme au diable. Et comme pour tous les Faust de la légende, ce fut une nouvelle jeunesse d’art qui, avec la bouche empoisonnée et les yeux terribles de la fille d’amour, le reçut sur les marges de son futur royaume.