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Comme on en peut juger, l’inspiration est vagabonde : elle court la rue et les routes ; elle subit le caprice du moment : elle trahit un esprit mobile, fertile et flaireur. Personne ne compose mieux, ni n’équilibre plus adroitement sa mise en page ni ne campe d’un jet plus libre l’ordonnance des personnages. C’est de l’art poussé et qui semble improvisé : il n’est pas une planche qui ne soit venue à travers des recherches et des retouches, chiquet à chiquet, avec la poussée lente, sûre, difficile, continue de la notation définitive. Rops jamais ne sera un illustrateur spontané : il crayonne, il se démêle à travers des griffonnis ; il se dépouille à mesure, trouvant toujours qu’ « il y en a trop », et visant à la simplification : ce sera là une des vertus de son art. Quand enfin il tient sa silhouette, quand il est parvenu à fixer la belle ligne souple où s’enserre la palpitation d’une forme vivante, il se sent moins mécontent. Mais les belles dames qui, d’une si aimable étourderie, lui demandaient des figurines pour leur papier à lettres, ne se doutaient pas que ce petit dessin exigeait parfois de lui le travail de toute une journée.

Rops n’eût pas été de la souche d’Uylenspiegel si, comme lui, à sa manière il n’avait pris part à la mêlée sociale. Il n’a ni le gœdendag qui assomma les chevaliers du Lys, ni le gourdin du grand gueux ; il n’a que la pointe de son crayon, mais, celle-là, il s’entend à l’acérer en la passant sur la pierre lithographique, de façon à en faire une arme de fronde et de malice qui égratigne et blesse, si elle ne tue pas. Un beau jour sa comédie des mœurs tourne à la comédie politique ; il gouaille les gouvernants ; il daube sur le pouvoir. La politique est pour lui le spectacle d’un carnaval où pitres, histrions et masques sont aux prises. La foi, l’âme farouche des zélateurs lui fait défaut ; sa caricature est un tréteau et non un pilori ; il lui arrive de manier les verges dont on fesse et il ignore le fouet armé de clous qui laisse l’immortel stigmate. Il a surtout le rire. Exemple : un chasseur tire sur un phœnix tenant en sa serre une carte avec l’inscription : « Liberté de la Presse ». Ailleurs : « Rapporte ! Rap-