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XXIV


Je devais le revoir une dernière fois en septembre 1896, dans la dune flamande de Knocke. La Flandre, ce jour-là, faisait à son peintre, à Alfred Verwée, la dédicace d’une stèle commémorative. De tout le pays on était venu comme à la fête du génie et de la nature. Rops encore une fois arriva de Paris : le cœur et le foie malades, il avait voyagé deux jours, par étapes. Ce fut une grosse émotion quand il se retrouva avec les vieux et les glorieux de son temps, en un dernier carré fraternel. Il n’en restait que quelques-uns : la mort avait fauché les autres. Il leur serrait les mains et les embrassait. Au dîner chez le bourgmestre, qui était aussi un peintre, il fut acclamé et pleura. Il retrouvait parfois sa verve, mais pour parler de ceux qui étaient partis. Il disait à Constantin Meunier en s’imposant le cœur :

— Vois-tu, mon vieux, ce sera bientôt mon tour.

Après le repas, on sortit rejoindre sur le pré la petite foule qui attendait, groupée devant le buste du peintre, encore recouvert. Puis une louange s’éleva, le voile fut enlevé et le bronze apparut. Alfred Verwée, l’animalier puissant, le maître des grands pacages dorés, des lourds ciels en marche et des fleuves à la grasse coulée d’étain, fut devant tous, masque de vie sensuelle et enivrée.