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du bon pressier, flûtant ses petites remarques et guettant le pli qui, dans le front à plans droits du patron, détendait ou resserrait l’arc sourciller, tous deux, dans l’angle de la fenêtre, avec la pénombre des voûtes en travers de la pièce, les doigts maculés de noirs gras, des hachures d’encre sur les joues et le nez, donnant l’impression d’un mauvais coup comploté entre gens de mine patibulaire. C’étaient là des émotions où il lui venait un battement de cœur comme pour une chose de lui tout à coup sortie de l’inconnu de l’épreuve et où quelquefois, d’une petite fièvre d’impatience, il se pendait aux bras de la presse et la manœuvrait à lui seul, bousculant la mise en train du brave Flamand blond, trop lente à son gré.

Oui, vraiment, Rops vécut là la vie frémissante d’un créateur d’art et d’esprits. Si la moisson ne fut pas en raison de l’effort du semeur, du moins la graine si largement jetée aux sillons germa dans quelques nobles artistes qui, sans lui, peut-être jamais n’auraient songé à manier l’outil expressif, décidé et rapide en qui peut-être l’impressionnisme des peintres belges prit connaissance de lui-même. Hippolyte Boulenger vivait en ce temps à Tervueren où il avait formé une école d’art rural qui, dans l’histoire de la peinture nationale, eut l’importance d’une école de Barbizon. Il dut à un clair et nerveux génie la vision et le sens d’un paysage qui, dans un grand pays comme la France, l’eût mis parmi les très grands, non loin d’un Rousseau, mais avec la qualité d’un Rousseau moins chimisé et plus grassement peintre. La Belgique, toujours défiante, ne lui donna qu’une gloire modérée, chèrement expiée par des mécomptes sans nombre et la mort. Ce beau peintre ne fit que quelques eaux-fortes, mais égratignées d’une main si spirituelle, avec de si vifs accents d’ombre et de lumière sous le foliolement des arbres et les nébulosités moites du ciel que, sans rien devoir d’immédiat au maître et à l’ami, ce fut néanmoins celui-ci qui, de son conseil et de sa confiance, l’inspira et l’encouragea.