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elle met fumer dans les cassolettes liturgiques une pincée de braises diaboliques ; elle est l’un des feuillets de l’énorme pamphlet où graduellement s’est assombri le crépuscule des dieux. Elle prend là, pour un artiste comme l’est de Rops, une importance liminaire qui en fait le frontispice, non point d’un livre déterminé, mais de l’Œuvre entier de la damnation, avec la mort debout au seuil, symbole ironique et suprême. Celle-ci sera désormais un des comparses assidus de qui, sous des masques divers, héroïques et bouffons, il requerra l’office de protagoniste dans la prodigieuse tragi-comédie érotique et macabre qu’il laissera après lui. On l’y verra, histrionne fardée en falbalas ou vestale impudique attisant la marmite de Satan, vieille sorcière s’ébrasant aux fornications, goule et vampire, pierreuse et princesse, toute la chiennerie des carrefours et la théorie des pauvres archanges aux ailes rompues, parader en personne sur les tréteaux, faire le boniment et tenir les rôles bas et grands, les lubriques, les torturés, les hilares, les diaboliques, si bien que, sous tous les déguisements et toutes les grimaces, c’est toujours elle, la camarde, avec son ami le diable, qui emplit la scène de ses cabrioles, de ses fureurs, de ses grincements de dents et de ses simulacres d’agonie où elle se raille et se dupe elle-même. Sur les grils, sur les chevalets et sur les divans, vous l’entendrez se lamenter et hurler et râler avec la bouche de l’amour, dans des attitudes qui sont un défi à l’amour. Ainsi l’aura voulu le caprice du maître, de ce maître en qui il y eut, à un degré vertigineux, le goût des baisers, de la perdition et de la mort et qui fit si bien les affaires du diable qu’en semant par les chemins du monde l’ivraie maudite, il parut être lui-même de sa parenté.

Personne n’eut au même degré le sens du terrible et de l’impur. Son œuvre est comme un cirque où belluaires et fauves s’entre-battent, où sous la dent des tigres et des lions, s’agenouillent les âmes martyres et où là-haut, sur son trône fait d’ossements, hiératique et droite, domine la grande femelle impu-