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On ne songe pas, du reste, à les comparer ici entre eux : leur mentalité d’art qui tous deux les porta vers l’amour de la femme, fut différentielle sur tous les autres points. Rops, aux jardins du péché, devait cueillir l’étrange et mortelle orchidée. Stevens, même dans ses fièvres, jamais ne transgressa la commune moyenne des passions normales. Tandis que le premier obtenait en ses cornues les pires précipités de la perversion amoureuse, le second presque toujours eut pour la femme le gros cœur sensible d’un bourgeois de son pays qui, par surcroît, eût été un peintre admirable.

Alfred Stevens, dans sa comédie amoureuse, est presque un moraliste et qui ne prend du siècle que les licences permises. Il n’emprunta à l’Empire qu’un certain type général d’élégance, de frivolité et d’égarement amoureux. L’homme, sans doute, n’est jamais loin : mais il ne faut le chercher ni dans le lit ni dans le placard : il est bien plutôt dans le cœur de l’amante. Si une ou deux fois il entrevit « le monstre », comme le lui écrivait Alexandre Dumas fils, peut-être il y fut porté par un modèle exceptionnel. Mais sa région n’est pas aux enfers : il séjourne aux intimités paisibles du gynécée. Il fait des femmes de foyer, épouses et mères, et qui, même à travers les curiosités de l’amour, gardent un tranquille parfum d’honnêteté. Ce sont des sentimentales comme chez Musset et qui n’ont rien de commun avec les femmes damnées d’un Baudelaire qu’évoquera surtout Rops. Ensemble, pourtant, elles proposent les deux aspects de l’amour dans une société qui s’est donné la femme pour idole, et eux-mêmes sont aux pôles opposés de l’art qui les exprima.

Moi qui les connus tous deux, je puis dire qu’ils s’estimèrent sans s’aimer. Stevens s’effarouchait d’un art morbide qui violentait sa grosse sensualité sanguine et conforme. Rops, tout en admirant sa maîtrise de peintre, lui contestait la cérébralité.