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et elle ne m’avait pas dit encore le mot amour. Autour de nous, la nature aussi était malade des feux sombres de la canicule. L’orage se déchaînait. Des chutes de marbres et de métaux roulèrent sur des pentes. Des tonnerres de charrues mordaient des basaltes. Des taureaux épouvantés meuglaient dans des étables. Et la foudre creusait la nue de lézardes immenses. La forêt, dans l’horreur délicieuse des fracas, restait violée et brandie. Et puis la pluie féconde ruisselait, l’humide chaleur de la substance. La terre tressaillait, buvait puissamment la vie mâle.

Or, une fois, nous vîmes ce prodige. Comme l’escalier d’un palais de cristal et de pierreries, un arc en-ciel traçait sa parabole par dessus la forêt. Nous n’apercevions pas toute sa courbe, mais avec ses paliers d’émeraudes et de saphirs il s’appuyait sur le toit de la maison, et ensuite il déployait son cintre ; son autre extrémité rejoignait un point inconnu de la terre. Moi je vis là un signe heureux. Je pensai : Notre vie, par ce segment qui va de la maison à la forêt, demeure harmonieusement tracée.