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fraya comme si quelqu’un d’autre que moi avait parlé sous les arbres. Je ne croyais pas que le son de ma voix m’aurait fait mal un jour. Cordial et bon Misère ! je regardai profondément dans ses yeux ; ils étaient limpides et chauds. Mon image s’y refléta ; j’avais oublié la forme de mon visage ; et alors tendrement je pleurai. Jamais je n’avais aimé personne autant que ce chien.

Avec mon couteau, chaque matin, je rayais une branche taillée à l’arbre. Une raie était un jour, je ne connaissais plus le nom des jours. Les heures maintenant coulaient d’un flot d’éternité égal. Cependant, par une vieille habitude, je continuais à marquer le temps d’une aube à l’autre. Je sus ainsi que pendant toute une semaine je n’étais plus descendu à la lisière de la forêt. Mon cœur battait sauvagement à l’idée qu’il y avait là, à quelques heures de marche, des filles aux petits seins pointus. Je n’aurais eu qu’à traverser la lande, j’aurais marché droit devant moi jusqu’aux hameaux. Vois-tu, Misère, toi, tu es une bête : tu soupires après l’aboi des chiennes ; mais