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Tu t’es détaché de la société, tu es devenu un homme sauvage ; tu n’as plus même une femme. Le soir, quand montait la lune, nous rentrions à la maison. Autrefois, mon père et mes oncles venaient là au temps de la chasse. Le chien couchait près de moi sur une litière de feuilles.

Au bout du second mois, je descendis vers la lisière. Une peine sourde me laissait sans pensées. Je regardai longtemps du côté des hameaux : je ne les apercevais pas, mais je savais qu’ils étaient là-bas. C’était un étrange sentiment qui me gonflait les narines. De la peine, du désir, je n’aurais pu dire. Étant demeuré un peu de temps les yeux perdus au loin, je rentrai dans le bois. J’abattis, dans l’orgueil de ma force, deux geais, un écureuil et un chat sauvage. Maintenant encore une fois le vin vert des solitudes me grisait. J’appelai : Misère, Misère ! Je pris cette bête dans mes bras comme un être humain. J’éprouvais une grande joie de penser qu’elle avait peut-être une âme comme moi. Je criais des mots tendres, sans suite. Ma voix tout à coup m’ef-