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Maintenant j’étais seul et nu comme la lande. Je gagnai avec Misère le cœur frais de la forêt. Mon Dieu ! c’était là un singulier nom qu’on avait donné à cette bonne bête. J’aurais pu le porter tout aussi bien que lui. Je descendis donc sous les arches vertes. Je bus à larges gorgées le vin de silence et d’oubli. Et doucement un homme nouveau entra en moi, comme aussi un homme inconnu était entré dans la forêt. Il me vint ainsi, à la place de mon âme malade, une âme vierge et saine qui regarda du côté de l’Orient. « Voilà, Misère, toi et moi à présent sommes comme deux frères. » Je caressais le chien, je lui parlais comme à moi-même. Mon rire clair montait sous les arbres J’étais le roi de la forêt, je tuais pour l’orgueil de tuer.

Or un jour Misère s’allongea, la tête entre les pattes, en gémissant : ses yeux brillaient sombrement ; je vis qu’il aspirait à l’amour des femelles. Je cessai de lui parler comme si c’eût été là une trahison. Moi aussi autrefois, j’avais beaucoup aimé une petite folle qui s’appelait Dinah. Je pensais joyeusement :