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le premier homme dans la jeune beauté du monde. Et il me sembla que je ne me m’étais pas connu encore avant ce temps. Je regardais mes mains et mes pieds jouer au soleil ; ils avaient le grain serré et brillant des silex polis par les eaux. Chacune des cellules de ma chair était la continuité de la substance à travers l’infini des âges. Déjà elles avaient tressailli sourdement dans le giron des mères avant la mienne. Durée vertigineuse de l’être ! Anneaux d’une chaîne qui de l’amibe, l’initiale matière fluante va jusqu’à l’être nuptial et conscient ! Cependant j’avais blessé cette chair dans mes ennuis solitaires et je ne savais pas qu’ainsi je tourmentais la chair auguste de ma race dans le passé. J’avais versé la vie dans des lits impurs et cette vie était comme le sang de Dieu répandu sur le chemin. On m’avait dit dans mon âge innocent : « Ne te regarde pas ni ne porte les mains à ton corps, car c’est là la chose honteuse. » Et maintenant je me regardais sans honte, avec le sentiment religieux de la beauté de mes membres. Je comprenais que la rougeur n’était venue aux