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vide. Mais nous, nous parlions en silence ou bien tout à coup nos cris éclataient, pressés, avec le bouillon du sang à nos aortes, comme les gouttes d’une pluie d’orage. Nos émotions étaient rapides, chaudes et sauvages. Nous nous serions créé un verbe comme l’enfant si nous n’étions venus là avec des mots tout faits. L’homme est plein de voix qu’il ignore et il écoute l’écho des autres voix en lui.

Nous eûmes un langage qu’entendaient les oiseaux, comme les saints hommes vivant au cœur de la nature. Les mots étaient pareils au flot de notre sang : ils battaient en nous comme notre cœur. Ils étaient la vie même dont nous vivions. Ceux qui étaient inutiles à exprimer la fraîcheur vierge de nos sensations s’en allèrent de nous, comme les espèces s’en vont avec les conditions changées de l’existence. Il ne nous resta que les signes nécessaires par lesquels l’âme s’accorde au labeur journalier, au cours des choses, aux émois de la vie, eux-mêmes frémissants et légers comme la source et les feuillages.