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vie. Ce jeune homme savait des arts magnifiques : il avait bâti avec ses frères de puissantes écluses ; toute la mer fut retenue derrière des portes de fer, et ensuite celles-ci s’étaient ouvertes et la mer était entrée, pacifique. Il prit ainsi une beauté qui l’élevait parmi la masse des êtres. Je l’ai admiré, il me parut naturel qu’Ève l’admirât comme moi. Et nous lui avons fait place au foyer : il a bu l’eau de la source, il a mangé de nos fruits ; et par moments lui aussi regardait Ève avec des yeux francs. Il nous témoigna ainsi qu’il écoutait la nature. Autrefois je me serais offensé de l’ardeur et de la spontanéité de ce sentiment. Les civilisés des villes sont troublés d’âcres ferments ; les nourritures sanglantes et les alcools les tourmentent de vertiges. Ils infligent à la femme l’outrage d’un regard par lequel déjà, avant qu’elle se soit abandonnée, ils la possèdent. Ceux-là pénètrent dans l’amour d’une femme comme le chasseur dans le hallier. Oui, alors j’aurais repoussé de mon toit l’homme qui eût été touché par les grâces de ma chère Ève, le soupçonnant im-