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sur le sol ; nous étions sous ses cheveux comme sous une tente. Oh ! je chérissais si follement la nuit ardente de sa chevelure ! Elle s’épanchait du flot d’un fleuve vermeil. Elle annelait de colliers lourds et souples mes bras et mon cou ; je prenais leurs torsades dans mes mains, je les déployais, regardant au travers, comme de dessous le feuillage d’un arbre, le soleil fil à fil se mailler au sang écarlate de leur trame. Et j’étais là, avec mon souffle court, contre le battement de sa vie à petits coups, contre la stillation mélodieuse de ses sèves profondes et l’odeur de fruit de sa chair, comme un homme ivre qui boit le vin à la bonde.

Son amour toujours me donnait la sensation presque religieuse de vivre en elle l’âme même de la terre dans une grande durée de temps. J’étais comme le cœur gonflé des arbres sous la pluie, comme le feu et la sève des terreaux, comme le sang rouge des métaux. J’étais moi-même un peu de terre sensibilisée, devenue la fluide conscience de l’univers, comme la claire vitre qui reflète l’aube est faite de sable