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mable innocence d’Ève, on m’eût montré au doigt par les rues comme un fou. Il y a toujours un fou comme moi qui sort de la forêt et celui-là va par la plaine en jouant sur la flûte des airs naïfs, et près du puits les vieilles femmes et les jeunes hommes le regardent passer en se moquant. Les petits oiseaux sont touchés de sa mélodie ; il charme les agneaux et même le taureau cesse de gratter en mugissant le sol avec son sabot. Mais il n’est pas entendu des gens des hameaux. Or, après longtemps, il repasse près du puits et des hommes nouveaux sont là maintenant, jouant les mêmes airs naïfs sur la flûte, car ni un grain de blé ni le son d’une bouche ne se perdent et seulement il faut attendre. Il viendra un jour où on s’apercevra que la bergère qui file sa quenouille en menant paître le troupeau est plus près de la beauté que les princesses.

Ève, comme la bergère, filait le lin de mes jours ; elle menait ma joie danser au soleil ; et elle portait dans ses bras le petit agneau nouveau-né. Je mirais ma vie dans la petite