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homme et à une femme des premiers âges de la terre. » Mon visage était grave ; j’exprimais là un sentiment presque religieux, comme si j’avais communié moi-même avec les lointains ancêtres. Le ruisseau près de la maison était musical et clair sur un lit de grosses pierres. Il descendait des hauteurs de la forêt : il apportait à nous un reflet des ciels et des chênes qui s’y étaient mirés : et mon âme aussi, comme cette onde errante, un instant avait ruisselé de vie antérieure. L’enfant ou moi allions emplir la gourde au courant et puis elle la portait à ses lèvres et à mon tour j’inclinais le goulot entre mes dents. C’étaient là des actes simples et originels comme la faim et la soif et toutes les choses qui arrivent des sources de l’être. Personne ne nous les avait apprises et nous recommencions ingénûment le geste des races. Ce fut le premier soir comme le matin avait été le premier matin. Une grande paix d’innocence nous venait de l’ombre.

La nuit ensuite nous cacha nos visages. Nous ne savions pas ce que nous étions l’un