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vie entre ses mains. Elle monta l’escalier, elle chantait une chanson que peut-être sa mère avait chantée quand elle entra dans sa neuve maison d’épousée. « Ah ! fit-elle, j’oubliais de vous dire. On m’appelle Janille. Je file le lin. Je sais aussi cuire le pain. » Je ne pensais pas qu’elle m’aurait parlé de cette chose si simple. Voilà oui, toute créature a droit au pain et que lui répondras-tu quand elle te demandera où est la farine ? Je la sentis brave et ma confiance revint. « Il ne faut qu’un peu de terre et de soleil pour faire lever le blé, » criai-je gaîment. Je pris mon fusil, j’allai dans la forêt abattre une couple de ramiers. Ensuite, comme je rentrais, je l’aperçus sur le seuil, la tête entre ses poings, pleurant. « Maintenant je suis ici avec un homme que je ne connais pas. Jamais plus je ne sortirai de cette forêt. » Un homme plus sage l’aurait consolée en lui promettant des colliers, mais le sang du carnage était encore à mes mains. J’avais l’orgueil farouche de l’homme qui dispense à son gré la vie et la mort. Je lui répondis sauvagement : « Eh bien, prends ton panier et retourne à la