Page:Lemonnier - Adam et Ève, 1899.pdf/235

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

ciels en suspens sur la plaine nue ont une autre cause que l’orageux cumulus qui pantelle à la cime des monts. Or pense à ceci : le ciel et la terre vont ensemble comme la berge et le fleuve ; et le nuage modèle son contour d’après la forme des vallons et des forêts. »

Le vieillard parlait avec la sagesse d’un dieu venu chez les hommes. Ma large paume recouvrait toute son épaule et cependant moi, écoutant la bonne leçon, je le trouvai dans ce moment haut comme les chênes vers lesquels il levait la main. Famine et Misère, couchés à ses pieds, le regardaient avec de clairs yeux humains, émus par le son sinon par le sens de sa voix. Et les oiseaux aussi s’arrêtaient de chanter et descendaient à la pointe des branches. Il aimait la beauté de la vie ; il ne la trouvait ni longue ni difficile, malgré les stigmates et le sang de ses pieds. Elle lui apparaissait une avenue bordée de prodiges et qui à ses extrémités s’éclairait de lueurs divines.

Un matin la grive chanta son chant mélancolique et tendre. Nous étions allés avec Ève