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de tous les hommes qui avant moi étaient venus par là et avaient aussi écouté lentement tomber la pluie dans leur cœur. Mais ce jour-là ce fut ma vie qui sans bruit coula mollement comme cette pluie triste. La forêt m’accablait d’un poids effrayant d’éternité. C’est fini, Misère ! elle ne viendra plus ! Et puis ma colère monta. J’aurais dû l’emporter dans mes bras comme un butin de guerre, elle ou une autre. Je pris ma carabine et m’enfonçai dans la forêt. Le chien avait la gueule rouge quand nous rentrâmes.

Et elle vint. Ce fut le mystère du troisième jour, ce fut pour moi le premier matin. J’étais un homme vierge qui voit arriver vers lui sa vie. Toute cette longue nuit qui précéda le jour, j’avais crié comme un patient. À présent, chère nuit, je t’adore et toi, forêt, et toi, ô solitude où râla mon attente ! Elle arriva du côté de l’orient, elle marchait à petits pieds nus dans la beauté humide du matin et j’ai reconnu le pas qui en songe montait près de moi l’escalier. La nature était claire et ingénue comme au temps de la jeunesse