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sommes heureux. » Il parut délivré d’une peine et à présent il caressait les chiens. « Ces bêtes sont venues à moi, tandis que j’apaisais ma faim avec les fruits du bois. Elles ne m’ont pas mordu. J’ai compris à la beauté de leurs yeux que leur maître était sensible et secourable. C’est pourquoi je les ai suivies. Je vais à travers le monde. Je n’ignore pas les arts de la terre. Je voudrais reconnaître par mes services l’inespérable bienfait de votre accueil. » Moi alors je lui dis : « Appelle-moi du nom que je me suis donné en quittant les hommes. Je suis Adam. Et à toi je vouerai le respect filial ; tes ans te grandissent autant au-dessus de moi que l’âge de ces chênes. »

Je le serrai contre moi ; nos barbes mêlèrent leurs ondes et je l’appelai « Père » avec vénération. Un homme dur autrefois avait porté ce nom et nous étions restés sans entrailles l’un pour l’autre. Celui-là n’avait été que ma souche native. Mais le vieillard était toute la forêt de la douleur humaine. Il éleva son front vers les arbres et il s’était découvert, il sembla parler à une présence invisible. Le trem-