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arrivé ensuite. C’était là un sentiment intense et confus, aux racines de mon être.

Je jetai ma bêche, je me laissai tomber sur l’aire. Dans mon trouble, je n’aurais pu continuer à remuer la terre. Cependant j’étais bien cet homme sauvage qui un jour, entendant aboyer Misère, poussa la clameur homicide. Les avenues de nouveau résonnèrent. Tout le bois trembla d’une voix grave qui parlait aux chiens et maintenant l’aboi farouche se tempérait de jappements affectueux. Oh ! cette voix soudain éveilla en moi de si lointains souvenirs ! J’avais oublié comment parlaient les hommes ; je ne savais plus quelles tendres et profondes musiques la légère aspiration d’un son fait naître sur les bouches humaines. Une voix, ce n’est qu’un peu de vent sonore et c’est toute l’âme du monde. Mais moi, dans mes peines et mes joies, j’avais poussé sous les arbres le cri farouche des premiers hommes. Je ne connaissais plus que le crépitement de la pluie sur les feuilles, le sanglot de la source et l’autan mugissant. Ève ! Ève ! Ève ! une voix est venue de chez les hom-