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large espace. Autrefois des arbres y avaient poussé ; maintenant la bruyère, l’airelle et l’herbe sauvage y traçaient leurs racines. Avec la bêche et la houe j’essartai cette terre dure ; je dénudai l’humus appauvri. J’avais vu dans ma jeunesse des tâcherons écobuer la plaine aride. Je travaillai ainsi, selon mes forces, avançant avec lenteur et Ève, tenant Héli dans ses bras, venait s’asseoir aux limites et m’encourageait. Mes bras sous la peine mollissaient ; une sueur abondante mouillait ma poitrine nue ; je haletais du poids lourd du soleil à mes reins. Mais sitôt que je les avais vus, une force merveilleuse coulait dans mes membres.

Vers le midi, nous nous étendions à l’ombre des arbres ; des fruits rafraîchissaient ma soif ardente. Héli près de nous, le ventre au soleil, ses pieds dans les mains, avait la grâce et les joies d’un jeune animal. Moi, je regardais au loin. Je croyais voir marcher là-bas dans les sillons l’ancêtre, le chef antique de ma tribu. Peut-être j’aimais mieux Ève, mais je pensais davantage à l’enfant.