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rêt. Et ainsi il fut annoncé à la nature qu’un roi lui était venu.

M’étant retourné vers Ève, je m’aperçus que sa vie fleurissait la terre comme dans les bois saignait le jus rosé des fraises. Je la portai dans mes bras jusqu’au lit et ensuite je couchai l’enfant dans sa gorge. « Vois, me dit-elle, il n’était pas sitôt venu au monde que déjà il avait vidé un de mes seins. Et maintenant il cherche l’autre, avec ses mains. Notre fils aura grande vie, cher Adam. » Le lait jaillit, sucé par la petite bouche comme le vin écume de la bonde. Et Ève, avec les doigts, doucement écrasait la pointe de sa gorge entre ses lèvres gourmandes. Ma mère aussi avait fait ainsi et toutes les mères avant elle. Leurs mains, en appuyant sur le sein, avaient eu des grâces longues et pâles. La tête de l’enfant ensuite roula ; un peu de lait coula de sa bouche ; et il dormit d’un grand sommeil gorgé près du sommeil las d’Ève. Toute la maison fit silence et moi avec les chiens j’allai vers le bois, non loin du seuil, pleurant des larmes heureuses.