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en remuant les feuilles, lui prêtait une vie enfantile. Naturel n’es-tu pas la mer de lait en qui ondoie l’éternelle substance ? N’es-tu pas, en vérité, le berceau de toutes les âmes ? Cependant à peine nous commencions de te connaître. Nous étions deux êtres ingénus qui allaient sous les arbres en écoutant la vie.

Ève bientôt sentit le lait la tourmenter. Cependant elle supportait légèrement la blessure de son flanc. La ceinture lâche, avec la caresse tiède de l’air à sa chair fleurie, elle ne redoutait pas sa délivrance. « Ne suis-je pas Ève au jardin d’Èden ? » disait-elle. J’admirais l’héroïsme tranquille de cette bergère.

Or, à quelque temps de là, étant parti pour le bois, j’entendis au chant des oiseaux que l’été était venu. L’air lourd brûlait. Je descendis vers la lisière et cueillis les premières fraises. C’était à peu près au temps qu’elle arriva elle-même avec les filles, l’autre été. Ève ! Ève ! la terre a saigné délicieusement un jus parfumé. Accueille ces prémices, elles ressemblent aux pointes fraîches de ta gorge.