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Le ciel par dessus les cimes s’élucida ; il bruina une onde vermeille ; et maintenant un souffle large de proche en proche remuait les feuilles comme de petites mains réveillées. Mon Dieu ! est-ce que j’avais déjà vu se lever le jour avant ce matin d’espoir ? Peut-être là-bas, par la lande bleue, venait l’enfant.

Misère, va devant ! Précède joyeusement mes pas ! Moi aussi comme la terre je regarde à l’orient de la forêt monter le clair visage du jour. Ma vie palpite délicieusement. Je porte à ma bouche les premières fraises, les fraises mûries pendant la nuit. Alerte ! Les vannes sont levées, le soleil comme un fleuve s’épanche à grandes ondes rouges. Toute l’oisellerie au jubé déjà chante laudes et matines sont dites. Mon sang aussi chante un hymne à la nature. L'ami fraternel jappe et remue la queue : il a reconnu la sente parfumée de serpolet. Et je ris à part moi, je pense : trois filles avaient les lèvres barbouillées du jus des fraises.

Une heure, et puis une heure encore. Des geais durement râlaient dans les hautes bran-