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nie qui ne voulait pas finir. Et moi, penché sur les yeux humains du bel animal, je ne cessais pas d’entendre l’horrible cri. J’ouvris mon couteau, je le coulai droit au défaut des épaules. Mais la vie ne s’en allait pas, le long frisson des membres secoués par les râles. Avec mes mains poissées de sang chaud, je tâtai la place du cœur et de nouveau je poussai fortement la lame. Une dernière convulsion courut dans les sueurs glacées. Et maintenant avec horreur je tenais la tête un peu levée vers moi et j’y regardais se figer en tons mats d’étain, dans le calme soir de la forêt, la claire vie en pleurs des prunelles, presque des prunelles d’enfant comme le cri. Tout au fond, dans la montée glauque des ombres, quelque chose de limpide et d’immensément doux et triste aussi me regardait, comme la douleur et le pardon. Non, je n’étais plus le même homme qui tout à l’heure allait sous les arbres, avec l’orgueil et le vertige de sa force. J’avais immolé l’âme charmante de la forêt. Le sang de l’être innocent et fraternel gluait à mon couteau et à mes mains comme si la