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pour les abattre. Mais il y avait une trop grande distance entre leur faiblesse et ma force violente. Mon rire sonna par dessus leurs jeux et leur amour. Je n’étais pas touché par leur beauté confiante ; mais seulement ma force me rendait désirables de plus nobles proies.

Et puis il arriva que je pensai tout à coup à ma chère Ève et à l’enfant qu’elle portait. Elle était ma colombe amoureuse avec de petits spasmes au creux de mes mains ; et l’enfant comme les écureuils bientôt jouerait dans mon arbre de vie. La vie encore une fois chanta, ardente et terrible. J’étais moi-même comme la petite colombe et j’étais aussi le lion. J’étais l’homme qui va dans le vertige de sa force. Je songeais : s’il ne vient pas de bête, j’irai chercher ma hache, je la planterai au cœur d’un hêtre. J’avançai donc à pas muets, sans hâte et tranquille comme quelqu’un qui porte l’éternité en soi. Je tenais toute la forêt dans mes prunelles. Déjà l’ombre montait des fonds. La forêt eut un long silence ; je n’entendais plus que faiblement le loriot dans les hautes ramures. Et puis le so-