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mousses étaient mêlés à ma vie. J’étais le cœur sensible où retentissait l’énorme voix mystérieuse de la forêt. Cependant je ne songeais pas à rassembler mes pensées ; je n’avais que des sensations brèves et infinies qui me venaient de l’harmonie de mon être en cet instant avec la vie universelle. J’étais comme un des arbres de ce peuple vert, touffu à l’égal de l’humanité. Mon sang faisait un bruit de feuilles remuées. J’étais une part de l’éternité parmi l’éternité des essences sauvages du bois ; et seulement moi je savais que ma substance n’avait ni commencement ni fin. Le vent avait semé la graine ; elle-même était venue d’une autre qui avait été la vie avant elle. Mon esprit suffisait à me représenter cette continuité sans trêve de la substance tandis que les herbes et les chênes et les millions de germes cachés dans la terre s’étaient levés et ne cesseraient pas de se lever comme des forces aveugles, inconnues d’elles-mêmes. Moi, dans la connaissance de mon éternité, j’étais comme un des regards avec lesquels le grand dieu de la vie se regardait vivre et se