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lèvres, bien qu’ici ce soit ton sang et ta substance régénérés. Non, entre plutôt, esprit, âme rude des miens. Peut-être es-tu le bûcheron qui avant moi s’en alla vers la forêt et me fraya le passage.

Dehors ! Dehors ! Voilà la dernière embellie. Le brouillard remonte en floconnant. Et moi j’ai fini les pièces de la charpente. Je me hisse sur le toit, j’ajuste selon un dessin précis et symétrique, les chantignolles. Je me réjouis d’avoir bien pris mes mesures. De là-haut je sens monter le moût âcre des essences. L’air est parfumé de safran, de vanille et de myrrhe. Un encens moisi et fongueux s’effume comme dans les chapelles. Et j’aspire ce bouquet tonique qui me grise. Je crois vivre dans la minute brève la vie comble d’un siècle. Des jours ainsi s’écoulent et à la fin les ais se joignent. Je bouche les interstices avec de l’étoupe d’ortie et la résine des pins. Comme un antique vaisseau au chantier, le toit radoubé se tient debout, ferme et hermétique.

Alors j’appelai Ève, je la menai vers l’œuvre accompli. Je lui dis sans orgueil : « Vois.