Page:Lemonnier - Adam et Ève, 1899.pdf/143

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

des ais, j’en équarris patiemment et poliment la surface. Au dehors, comme les mâts d’un port, la chênaie se tord et grince. Le vent ronfle comme un rouet. Et moi, dans la grande paix de ce réduit, je suis penché sur le travail de mes mains. J’ai battu le fer sur l’enclume ; j’en ai tiré la doloire et la varlope. Le plus humble artisan des hameaux ne voudrait pas de ces outils grossiers : ils suffisent à ma peine. Je ne croyais pas qu’il pût y avoir tant de joie dans un si obscur labeur. Ma vie simple et droite se borne à ne pas vouloir plus que je ne puis faire. J’apporte à ce que je fais une conscience avisée et studieuse. Ainsi mon travail n’est pas sans fruit, je l’achemine à ses fins selon mes forces. Et c’est très doux, ce bruit régulier du fer qui peine avec moi : il scande mon souffle avec un rythme égal et lent comme une horloge. Mes mains qui firent le mal à présent se conforment au commandement de la nature. Ni le vent, ni l’air, ni l’eau ne cessent de travailler. Ils activent l’aile du moulin, ils portent les navires, ils gonflent