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soufflet dans l’une des deux ouvertures du creuset, je pressais sur les peaux et en tirais du vent. Trois fois le vaisseau éclata. J’étais calme, patient, méditatif. Autrefois je me serais rebuté. Maintenant il y avait là comme un essai de mon intelligence qui me passionnait. Je fis donc un quatrième creuset ; j’y mis le charbon et le minerai et je soufflai.

Le feu intérieur gronda, fit trembler la terre et moi, j’étais penché gravement sur l’œuvre inconnue. Je ne savais plus depuis combien de temps je venais là, désertant la tranquille maison, délaissant les petits seins languissants d’Ève. La forêt pendant des jours vit passer un homme soucieux qui, avec des gestes étranges, semblait parler à quelqu’un dans les arbres. Et maintenant ce même homme était accroupi devant le creuset, le soufflet dans les mains, quelquefois expirant avec sa bouche le vent de ses poumons. Je n’avais rien dit à Ève : mon orgueil eût trop souffert de s’avouer vaincu et celui-là seul est le maître admiré qui rentre au son des cornes victorieuses. J’étais donc venu ce jour-